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La traversée des siècles

Voici comment les chiites présentent leurs origines et leur histoire. Un texte à lire avec la plus grande prudence, mais très instructif sur leur mentalité.

Ma vie, ma Tunisie

La traversée des siècles

Lors de la disparition du douzième imam infaillible El Mehdi, le fameux imam caché (878), les premiers partisans du réseau chiites prétendirent que ce dernier, malgré son retrait provisoire de la vie publique, continuait à adresser aux hommes ses messages prophétiques.

Celui-ci désignerait bientôt son successeur, unique savant religieux capable de construire l’avenir du monde musulman. Pourchassés depuis de nombreuses décennies, les membres de ce réseau étaient alors très affaiblis.

Aussi décidèrent-ils de se retirer de la scène politique, tout comme leur idole, afin d’échapper à la torture de leurs détracteurs et de préparer dans l’ombre le renouveau de la religion chiite en restructurant son organisation à la lumière des textes sacrés issus de la parole d’El Mehdi. La disparition de ce dernier marqua donc le début de leur clandestinité.

À cette époque, la première tâche entreprise par les grands savants chiites fut de conserver et de protéger les écrits sur lesquels se fonde toute la stratégie du réseau, d’hier jusqu’à nos jours, et pour les siècles à venir. Ces textes comportaient deux volets, l’un destiné à la masse des croyants, l’autre à l’élite et devant être tenu secret.

Des écoles religieuses furent ouvertes, réservées exclusivement à leurs descendants. Chaque nouvel élève postulant se voyait soumis à des tests draconiens avant de pouvoir y être admis, une étude sur son passé et sa famille était également diligentée. La formation religieuse comportait sept étapes.

La première se déroulait sur plusieurs années, pendant lesquelles l’élève apprenait les bases de l’islam et le Fiqh (la jurisprudence qui rassemble l’exégèse des savants chiites), sous l’autorité d’un « assidu» (moujtéhid celui qui interprète les textes).La deuxième le hissait au rang de savant religieux, mais il devait rester sous la tutelle de son maître, lequel avait pour mission de lui enseigner les subtilités de la jurisprudence. Durant la troisième étape, il acquérait le degré de Houjatou El Islam.

À partir de ce moment-là, il lui était possible de se détacher partiellement de son maître. L’élève rédigeait alors sa propre jurisprudence. À la suite de quoi, il atteignait le niveau de « prudence » (ihtiate).Lors de la quatrième étape, il défendait sa thèse Rissala El Amalia (pratiques jurisprudentielles) devant les plus grands savants chiites, lesquels lui accordaient son titre d’ « assidu », l’autorisant à exprimer son opinion personnelle et à devenir totalement indépendant à l’égard de son maître.

La cinquième l’élevait au rang d’Ayatoullah, lui donnant le droit de diriger sa propre école religieuse, puis d’envoyer ses disciples à travers le monde pour propager sa jurisprudence. Ses élèves lui devaient l’aumône (el zakat).La sixième correspondait au rang de Ayatoullah El Ouadhama (signe du Dieu grandiose), le plus haut degré de connaissance. Peu de religieux pouvaient y prétendre.Enfin la septième, appelée Ouléyatou El Féqih, couronnait le savant religieux suprême.

Ce degré reste toutefois sinon contesté, pour le moins théorique. En pratique, aucun religieux n’a encore osé le revendiquer, hormis l’imam Khomeiny lors de sa révolution contre le shah d’Iran ! Selon certains, seul l’imam El Mehdi détient ce pouvoir.Les membres du réseau se replièrent dans leurs écoles élitistes, consolidant ainsi leur organisation. C’est ainsi que la pensée chiite put traverser les âges.

Djamel Eddin El Afghani, né en 1839, de son vrai nom Djamel Eddin Assad Abadi, fut l’un des premiers à participer à l’infiltration du corps sunnite. Son apparition sur la scène politico-religieuse, vers 1860, déclencha l’entrée du réseau dans le domaine politique pour le conduire ensuite au terrorisme. Cet Afghan, converti à la doctrine chiite, reçut une formation religieuse en Iran avant d’entrer dans les rangs du réseau.

Après ses études, il se rendit en Afghanistan où il s’introduisit chez les sunnites afin de percer leur logique et leur mode de fonctionnement. Ensuite il gagna l’Égypte pour entrer dans la célèbre école religieuse El Azhar.

Sa première action pour le réseau consista à propager de façon indirecte au sein de cet établissement les idées politiques du chiisme. Cela avait valeur de test préparatoire à la mise au point d’une science de l’infiltration devant servir de modèle aux futurs agents du réseau.

Grand précurseur de la guerre secrète, dès 1867, El Afghani projeta d’installer en Égypte un mouvement islamiste puis de le pousser à prendre le pouvoir. De là il unifierait le monde arabe après l’avoir préalablement divisé, chassant par là même les colons occidentaux de la terre d’Islam.

El Afghani initia Mohamed Abdou (1849-1905), père fondateur du réformisme musulman El Nahdha (la renaissance), qui fut l’un des premiers sunnites politiques à enseigner à l’illustre école religieuse El Azhar. C’est là que les deux hommes firent connaissance. Derrière les actions d’El Afghani se cachait un puissant espion exerçant dans tout le monde arabo-islamique au service du réseau.

Il entretenait d’excellentes relations avec les colons européens, spécialement avec les Britanniques à qui il livra toutes sortes d’informations sur les partis d’opposition, communistes, nationalistes ou chiites n’appartenant pas au réseau.Dans les années vingt, après la chute de l’Empire ottoman et le partage du monde arabo-islamique entre Britanniques et Français, les dirigeants chiites prirent toute la mesure de la puissance occidentale.

Ils décidèrent de réagir énergiquement en formant un appareil ultra secret ayant pour mission, d’une part de mener des actions terroristes contre les intérêts occidentaux, et d’autre part de créer des mouvements islamistes au sein de la communauté sunnite.

Cette prise de conscience entraîna un durcissement de leur mouvement et la remise en cause de son action politique. Face au gigantesque corps sunnite et à la domination du monde occidental, la stratégie de l’attaque frontale se révélait en effet inopérante.

L’infiltration, la manipulation, la déstabilisation – bref tout ce qui relève de la guerre secrète, devinrent leurs armes privilégiées. Dans le même temps, les dirigeants s’isolèrent davantage dans leur tour d’ivoire occulte, instaurant un système de communication à la fois horizontale et verticale ultra verrouillé.

Ils développèrent également la méthode El Tekia, technique de l’agent double. Lors de l’indépendance de l’Égypte en 1936, le mouvement des Frères musulmans, créé en 1929 auparavant par Hassan al-Banna, a précipité le départ des Britanniques. En réalité, cette confrérie religieuse avait pu voir le jour grâce à l’influence d’El Afghani. Mais le manque d’expérience de ses dirigeants en matière politique leur interdit l’accès au pouvoir. Cet échec les obligea à se réorganiser.

Ils mirent au point un système économique et social spécifique, différent du capitalisme et du socialisme. Parallèlement, ils prêchaient un retour intégral à la tradition islamique pure et dure. Pendant ce temps, l’œil noir du réseau les surveillait de près.

Peu à peu les Frères musulmans sombrèrent dans le fanatisme et l’intégrisme sunnite, mettant en péril les plans chiites. Ces derniers parvinrent toutefois à reprendre le contrôle du mouvement par l’intermédiaire d’El Said Kotb, sympathisant du réseau et grand leader des Frères musulmans. Les chiites consentirent même une aide financière importante.

Plus les idées politico-religieuses des Frères musulmans se propageaient dans le monde islamique, plus la présence du réseau se fortifiait sur ces mêmes terres. Lorsque les autorités égyptiennes condamnèrent à mort El Said Kotb, le réseau continua néanmoins de préserver son hégémonie sur les Frères musulmans jusqu’à ce que ceux-ci soient réprimés par Nasser dans les années cinquante. Cette défaite relative poussa les à intensifier l’infiltration du corps sunnite en Égypte.

Reprenant de nouvelles positions stratégiques, ils manœuvrèrent pour y développer des mouvements islamistes conservant leur religion locale mais placés sous le contrôle direct ou indirect de ses agents. De cette façon ils renforcèrent leurs positions dans les principales villes égyptiennes, à partir desquelles ils purent ensuite implanter des branches annexes dans les pays voisins. Après la première offensive chiites menée par El Afghani au Moyen-Orient, la suivante fut lancée vers l’Occident.

L’analyse des dirigeants du réseau, que ni Karim ni moi ne partageons, je tiens encore à le préciser, est la suivante le monde occidental est l’objet d’une opération de minage par les « juifs sionistes qui président de nombreuses institutions financières, civiles, mais également militaires ».

Profitant de la naïveté des chrétiens et de leur méconnaissance du danger que représente la puissance islamique, les sionistes organisent de leur côté une guerre secrète destinée à anéantir les musulmans.

Les chiites envoyèrent partout en Europe des espions chargés de dresser des rapports détaillés sur les activités sionistes. Travail minutieux et de longue haleine, mais les investigations interminables ne sont pas pour effrayer le réseau, qui raisonne à très long terme, édifiant des plans d’action sur des centaines d’années à la lumière des prédictions d’El Mehdi… Selon les chiites, le temps joue en leur faveur.

Texte écrie en arabe 1987 et sortie en 2020 dans le livre Ma vie Ma Tunisie.

Par : Mohamed karim Labidi

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